contre-courants
editorial
panthéon
panthécon
hypothéses
photographie
gore-bonze
chronique édifiante
Lettres du Brésil
l'ennui
fatiguisme
l'équipe
contacts
archives


Lettre à un ami républicain (suite)





glou glou

Lettre à un ami républicain
01/05/2002



Cher Max,



Beaucoup de mes amis me demandent aujourd'hui de manifester contre le fascisme: "marchons... marchons" m'écrivent-ils, en reprenant le refrain d'une Marseillaise qu'ils avaient pourtant bien oubliée ces dernières années. C'est que, pour eux, parler de
nation était devenu un rien franchouillard : c'était comme prononcer une obscénité beauf aux relents de nationalisme qui suffisait à vous disqualifier. Vous deveniez
tricard de la gauche "humanitaire" quand vous osiez évoquer la souveraineté
nationale, le peuple ou le rôle de l'Histoire nationale dans le lien social. Sans le savoir, je faisais le jeu de l'extrême-droite. On n'osait leur rappeler le cri des sans-culottes à Valmy : "Vive la nation", tellement ils étaient ancrés dans leurs certitudes d'être dans le camp du Bien, du Progrès, ce camp de la Grande Marche que brocarde si bien Kundera (et puis, on n'était pas sûr que Valmy leur évoquât quelque chose, soyons franc). Il fallait être européen, citoyen du monde, et oublier
que la patrie était le bien le plus précieux de ceux qui n'en avaient pas, notamment ceux de l'autre côté du périphérique. Mais mes amis ne franchissaient jamais le périphérique, sauf pour prendre l'avion à Roissy, quand ils partaient en vacances.



Si je t'écris, c'est que leur appel à manifester contre Le Pen suscite en moi un malaise, un vague-à-l'âme, qui me fait me demander qui d'eux ou moi ne tournent plus rond. Car je ne peux m'empêcher de penser que ces manifs anti-Le Pen sont avant tout une mascarade grotesque, de surcroît festive (car on ne peut plus manifester aujourd'hui sa colère autrement que dans la joie festive, jamais dans la gravité responsable), mascarade grotesque qui va permettre une fois de plus à la "gauche de droit divin" de se poser en ultime rempart contre la bête immonde, et de masquer ainsi ses responsabilités dans la décomposition du corps social. Non, 2002 n'est pas 1933, Le Pen n'est pas Hitler mais bien plutôt sa caricature bouffonne (ce que l'opérette est à l'opéra finalement) et les résistants chics de Saint-Germain-des-Prés, les Beigbeder et les Arditi, ne sont pas de nouveaux Jean Moulin : ou alors je suis Chateaubriand. Marx a raison finalement : l'Histoire n'en finit pas de bégayer, et si hier elle était tragique, force est de reconnaître qu'aujourd'hui, elle tourne à la farce, sous l'empire du kitsch, du faux et du festif. Et de cette farce, je ne veux plus être le spectateur complaisant : je suis las de voir Guignol taper sur Gnafron. Je ne manifesterai donc pas. Le vrai fascisme n'est d'ailleurs peut-être pas là où on l'attend : et ceux qui ont chassé les humanités de l'Ecole et permis que Loft story devienne une réalité banale qui ne scandalise plus personne sont sans doute mal placés pour défendre la dignité des hommes. "L'Histoire a pour égoûts une époque comme la nôtre", disait déjà Hugo.




A bientôt


Vandale

Vandale
[En savoir plus sur l'auteur]