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glou glou

La cage bleue
04/11/2001

Ah, mon ami. C’est difficile d’écrire ces jours-ci. Je travaille beaucoup. Et ainsi, obsedée (ce n’est pas un bon mot, car j’ai besoin de travailler, mais...) pour assurer ma survie, toujours incertaine, toujours fustigée par les crises économiques et d’autres, mon désespoir ne me laisse pas soigner ma propre vie, qui est aussi écrire aux amis distants...

Tu sais? J’ai un nouveau boulot. Et maintenant, je travaille au centre-ville, dans une cage de verre bleu, sans fenêtre à cause de l’air conditionné. Et comme on a une crise d’énergie électrique, les appareils ne fonctionnent plus et ainsi on est presque mort de chaleur dans l’immeuble. Il n’y a pas une seule ouverture à l’éxterieur pour passer un peu de l’air frais, même que pollué.

De mon bureau, au septième étage, quand j’ose ouvrir les rideaux – et il y a toujours une autre personne pour les fermer - , je peux voir la forêt de bâtiments de plus de vingt étages qui m’entoure. Au beau milieu de cette scène grise, je vois les branches d’un seul arbre, un beau arbre brésilien qui s’appelle “ipê”, qui résiste intrépide et persiste à être plein de fleurs jaunes puisque c’est le printemps. Une fois, j’ai vu un seul oiseau à tête gris avec une raie blanche et la poitrine jaune comme les fleurs d’ipê. C’était un “bem-te-vi” de la forêt amazonienne, qui habite le sommet des arbres.

Je ne sais jamais s’il fait beau ou s’il pleut car à travers le verre bleu on ne peut voir bien la lumière du jour. Et je ne peux pas écouter le bruits de la pluie sur le sol et les tonerres. Je suis divorcée de la nature, dans une vie aséptique, plastifiée. L’immeuble où je passe la plupart de mon temps se rassemble à un laboratoire de la Nasa.

Imagine-toi! J’ai longtemps vécu enfoncée dans la forêt et maintenant je suis ainsi, à l’abri du monde et de la nature, pâle comme un linge, blanche comme la neige – et endormie aussi -, lourde comme un hippopotame, car je ne marche plus (il y a des ascenseurs partout, les escaliers mécaniques...ils fonctionnent encore). OK, je sais, il y a les clubs de gymnastique... mais, c’est si artificiel! Je prefère les promenades de byciclete sous les arbres, marcher à la montagne et là, chercher des fleurs, des orchidées et des bomélias (tu connais? C’est une plante basse brésilienne, pareil aux ananas, qui a une seule fleur énorme, rouge ou orange), nager à la mer ... m’oublier sur la sable en discutant avec quelq’un d’intéressant sur rien...

Devant mes yeux, quand je ne suis pas dans la classe, il y a toujours mon ordinateur, connectée à l’internet. Ah, l’internet! L’internet était un rêve autrefois. Elle était, pour moi – ici, dans ce coin perdu du monde, je suis toujours revêuse d’aventures - elle était la fenêtre entrouverte pour le monde, d’où je regardais la vie, d’où je connais des amis fous des quatre coins du monde. Elle était mon fil d’Ariane pour sortir de ce labyrinthe fatigant qu’on vit. Mais alors, maintenant, la magie est fini, car elle est seulement un outil. Je ne parle pas avec mes amis, je fais des affaires. Aséptiques. Plastifiés. Je ne rêve pas des visages d’autres, d’autres paysages, car ces gens-là ne m’intéressent pas.

Et alors, à la tombée du jour, quand je sors de ma cage de verre bleu, je suis dans ma petite voiture, bleu, avec les verres verts à cause du soleil intense (tu sais, le soleil austral fait mal aux yeux), dans les embouteillages du centre-ville, enfermée dans une autre cage, cette fois, une très petite cage, dans la chaleur terrible des tropiques, mais protégée des vols et de la violence...

Et quand un moustique ou une abeille entre dans la voiture? Ah, c’est un tourment. Il y a beaucoup d’abeilles ici, dans les fast-foods. Et moustiques à cause de la chaleur, des bois autour de nous - sur les escarpes des montagnes, où on ne peu pas construire des immeubles - et aussi des ruisseaux – il y a 274 petites rivières qui traversent ma ville, la plupart polluée.

Ah, je n’ai pas de bonnes histoires par le moment. C’est dommage, je sais. Mais tu peux voir la vie que je vis. Insipide. Sans joie ni inquiètude. Tout ce que je peux te raconter c’est le train-train quotidien que je n’arrive pas à briser.

Ce qui me manque c’est l’odeur de la pluie qui tombe sur le sol et de la terre mouillée. Le bruit des tonnerres. Le saveur des fruits d’autrefois. La couleur des fleurs e la lumière du soleil. Non, ce n’est pas le goût romantique de la vie pastorale, mais c’est l’envie de fuit loin d’une vie vorace. Et plus, mon cher, ce n’est pas un exotisme romantique, dépassée, mais c’est un désir impatient d’un pays lointain qui n’existe plus. C’est un sentiment d’impuissance devant l’ennui morose de la vie d’aujourd’hui. Ce qui me manque, c’est une journée délicate et tendre, c’est le regard d’un vrai homme, c’est le sourire de complicité et un clin d’oeil – noir, vert, bleu ou marron, ça n’import – insolent et malicieux...

À bientôt, j’espère.

G
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