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Lettre à un ami républicain





glou glou

Lettre à un ami républicain (suite)
02/05/2002



Cher Max,


Il me faut t'avouer que j'ai voté Chevènement : avouer n'est pas trop fort, car pour mes amis de la bourgeoisie bohème, de la branchitude des lofts parisiens, pour ces
defenseurs auto-proclamés des droits de l'homme, du cannabis et du droit de vote à 16 ans, je suis un peu celui par lequel le drame est arrivé. Oui, j'ai voté JPC au 1er tour, et je ne le regrette pas. Vois-tu, je suis las de ces électeurs de "gôche" qui veulent me culpabiliser d'avoir fait perdre Jospin. Comme si Jospin, et ses compromissions avec les terroristes corses, l'abandon de l'école, l'aveuglement devant l'insécurité, le cantonnement des classes populaires dans l'assistanat, le
camouflage en progrès social de la flexibilité qu'autorisent les 35 heures, le transfert aux oubliettes de l'Histoire des mots "peuple", "république" et "nation", qui furent
pourtant à l'origine de notre modernité en 1789, comme si Jospin, donc, était encore de gauche, ou même seulement républicain. Personnellement, je ne regrette rien, même si je voterai Chirac au 2è tour. Je ne regrette rien, car il faudra bien un jour que les électeurs de gauche se rendent compte que cette étiquette, telle qu'elle est usurpée aujourd'hui par le PS, n'a plus de sens... et que Jospin et ses sbires ont
largement participé à la désespérance qui hante aujourd'hui le corps social.





Dans mon lycée, la moitié des élèves sont allés manifester : c'est certes sympathique.Une leçon de civisme en grandeur réelle pour eux. Peut-être vont-ils s'apercevoir que contrairement à ce que journalistes et Guignols de l'info nous font croire, la politique
est trop importante pour qu'on la tourne en dérision. J'avais cependant envie de
vérifier sur leur carte d'électeur qu'ils avaient bien voté le 21 avril. J'en suis hélas peu sûr. En fait, je ne peux m'empêcher de penser que ces élèves ont été privés de culture politique et que l'école par ses réformes en est responsable. On n'apprend plus l'Histoire à l'école, et les grands mythes (Vercingétorix, le vase de Soissons, Jeanne d'Arc, Louis XI et j'en passe) sont délaissés (trop réac!) au profit de l'évolution du prix du grain de blé au XVIè siècle.... Ces élèves ignorants de leur passé ne peuvent pas savoir pourquoi la France d'aujourd'hui est ce qu'elle est : une république avec sa conception singulière de la laïcité, une terre d'immigration, un Etat
centralisé, un droit du sol, un attachement particulier à la notion d'égalité... On s'étonnera ensuite qu'ils s'abstiennent, que les plus illettrés d'entre eux votent Le
Pen, ou que beaucoup d'entre eux ne comprennent rien aux enjeux politiques du moment. C'est que nous, leurs aînés, avions hérité de cette culture politique et historique, ce qui fait que nous avons pu, comme nous l'aurions fait d'un héritage familial, conserver ce qui nous semblait utile, et à l'inverse refuser certaines choses. Bref, "obéir et ne pas respecter", comme disait le vieux Alain. La preuve en est que, pour penser, accepter ou refuser, il faut d'abord hériter. Or, nos nouveaux jeunes n'ont hérité de rien : immergés dans le présent matérialiste, étrangers dans leur langue, amnésiques, ils ne peuvent ni rien approuver,ni se rebeller contre quoi que ce soit. Ils flottent donc dans le réel sans être attachés à rien. Il faudra bien que la classe politique, socialistes compris, réponde de cet affaissement de l'institution scolaire qui est en grande part la cause de nos maux aujourd'hui. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été alerté par la diaspora républicaine (comment appeler autrement ces républicains authentiques étrangers jusque dans leur république ?) qui soutient Chevènement (notamment Danielle Sallenave du collectif Sauver les lettres ou Alain Finkielkraut) : on ne dira jamais assez combien le séisme du 21 avril a son épicentre dans le rapport délabré que la société marchande entretient désormais avec le savoir.

A bientôt

Vandale
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