En finir avec Bourdieu
07/06/2001
1 - Bourdieu n'est pas sociologue. C'est un philosophe. La méthode d'investigation du réel prône à la base une "reproduction" sociale incapable d'envisager le changement. On se reproduit, voilà le péché...
2 - Bourdieu est incompréhensible. Même ses disciples l'avouent, qui publient des livres pour expliquer sa pensée. Quand on essaye d'appliquer les idées de Bourdieu aux enquêtes de terrain, les "exceptions confirment la règle (la norme)". Les sociétés ne sont poutant pas structurées comme une grammaire....
3 - Bourdieu est durkheimien. A force de considérer les faits sociaux comme des choses, ces choses se font statues. Les stratégies de groupes ou d'individus existent, même s'il est nécessaire de les replacer dans un contexte plus vaste d'interactions.
4 - Bourdieu est inutilisable. Essayez de comprendre les dynamiques sociales, ou plus simplement le changement, et les bourdivins vous diront qu'il n'y a pas de changement.
5 - Bourdieu est mégalo. A force de ne pas parler de soi, il conclut son séminaire au Collège de France par une auto-socio-analyse. A force de ne plus vouloir passer à la télé, il accepte qu'on lui consacre un film...
6 - Bourdieu est démago. En disant aux cheminots en colère qu'ils défendent la civilisation, il assume que la civilisation existe, qu'il y a donc une échelle de valeurs entre les cultures. Ce qu'il a toujours contredit.
7 - Bourdieu ne sert pas à comprendre le monde. En effet, les concept de "champs", ou d'"habitus", sont des idées reprises aux marxistes ou aux structuralistes. Très séduisantes, elles fonctionnent partiellement.
8 - La sociologie française, ce n'est pas Bourdieu. Combien de sociologues moins tapageurs font-ils plus d'avancées méthodologiques ou de terrain ? Bourdieu est à la sociologie ce que Lacan est à la psychanalyse ou la "grandeur" à De Gaulle : une illusion d'optique séduisante.
9 - Bourdieu, c'est la vulgarisation à outrance d'une pensée qui va dans le sens du poil de la gauche bien pensante. On y justifie à postériori des concepts stériles. Le monde se fait noir et blanc, on culpabilise, on montre du doigt, les causes des faits sociaux sont uniques et simples...
10 - Bourdieu n'est pas un sociologue. C'est un théoricien de la domination. On peut réduire sa pensée à ce simple concept, appauvrissant une oeuvre qui, parfois - par exemple avec la "Distinction" - mérite d'être lue car elle décrit le social, tout en s'empêchant tout jugement réellement critique. Car chez Bourdieu, relativiste absolu, tout se vaut.
Ce petit texte m'a été inspiré par la lecture d'un article sur Bourdieu dans Uzine. (http://www.minirezo.net/article796.html)
Ayant "subi" la théorie bourdieusienne pendant trois ans sans y trouver les outils adéquats pour comprendre le changement, j'avoue mon exaspération devant l'admiration que provoque, à gauche, la parole du maître.
Une chose est certaine : Bourdieu, contrairement à Aron, Stoetzel, ou d'autres, n'a pas d'héritiers intellectuels. L'esprit de chapelle est si fort que l'idéologie "sociologiste" en a fait un messie. L'icône bourdieusienne pourra se perpétrer, au dépend de la qualité de l'analyse sociologique. Mais cela, on le savait déjà....
Ajout du 7 juin 2001 :
Vandale est allé voir le film de Pierre Carles. Voilà ses réflexions, qui me semblent correspondre assez avec le personnage de Bourdieu...
J'ai vu le film de Carle sur Bourdieu. On se laisse séduire par ce documentaire et on découvre un Bourdieu sympathique, cabotin, moins solennel qu'on ne l'aurait cru. Ceci dit, on est évidemment manipulé par le montage de Carle : on ne sait pas par exemple sur quelle base il a conservé telle ou telle image, et dans quelle mesure il n'a pas retenu que les portraits flatteurs pour Bourdieu. On a en fait le sentiment que le réalisateur est dévoré par
son adulation pour le personnage qu'il filme, d'où un certain côté hagiographique. Personnellement, je connaissais un Bourdieu plus empesé, plus imbu de lui-même, n'hésitant pas à rembarrer sèchement des journalistes du haut de sa suffisance scientifique.
Ce qui est drôle, ce sont deux ou trois choses qui transparaissent :
- l'idolâtrie dont il fait l'objet : on le voit avec deux femmes de trente ans qui se couvrent de ridicule en adoptant un comportement de cour assez grotesque. Même Bourdieu en est gêné, c'est dire. On se dit qu'on est plus proche de la foi irraisonnée de groupies que de la démarche scientifique rigoureuse de chercheurs en sciences sociales. Elles croient en Bourdieu, en fait...
- une scène montre Bourdieu animant un comité éditorial de LIBER. Il s'agit de recenser les chiffres prouvant que le libéralisme à l'oeuvre ne produit que des effets négatifs. Et d'aligner taux de suicides en croissance, explosion de la précarité sur le marché du travail, etc. Le pot aux roses est vite découvert : un des chercheurs propose d'étudier l'évolution par CSP des écarts d'espérance de vie. Manque de bol, lui fait remarquer un autre, ces
écarts se réduisent, ce qui va à l'encontre de la thèse de la nocivité du libéralisme. Qu'à cela ne tienne, on écarte le chiffre gênant, même si c'est au prix de la rigueur d'analyse. Tout ça compose plus une position politique a priori qu'une oeuvre scientifique.
- un jeune animateur social à Mantes-la-Jolie critique le fait que les beurs reçoivent une instruction au rabais dans les ZEP. S'il savait que d'une certaine façon les ZEP et les sciences de l'éducation sont l'avatar plus ou moins fidèles des travaux de Bourdieu sur les héritiers et la reproduction !
Grosse Fatigue et Vandale [En savoir plus sur l'auteur]
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