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Rapid'Artist' - 2nde partie.
08/01/2001

Décontenancé, Georges avait cessé le saxophone à l’âge de 35 ans. Il avait pris un emploi d’informaticien dans une société éditrice de logiciels bon marchés, suite à une formation en une heure express qui lui avait permis d’acquérir toutes les bases de la programmation moderne. Puis il avait songé à Rapid’Artist’.

Rapid’Artist était un module intelligent formé d’une pièce centrale – appelée Central’Artist’ – et d’un ensemble assez complexe de fils épais à l’extrémité desquels avaient été fixés des électrodes de carbone. L’idée d’un tel système avait germé dans la tête d’un petit revendeur de matériel Haute-Fidélité du quartier de la Bastille à Paris. Habitué au son exceptionnel des multiples amplicateurs, pré-amplificateurs, platines DVDI et autres enceintes colonnes multi-voies à pointes de découplages sans prix, il avait fini par ressentir une certaine frustration, celle de ne pouvoir parvenir au son parfait, celui qui restituerait sans le moindre défaut la cohérence du discours d’un Bill Evans, les sentiments exacerbés qui s’échappaient des profondeurs de la contrebasse d’un Charles Mingus, les mystérieux accords des pianos dégueulasses d’un Thelonious Monk. Aussi avait-il commencé de songer à une machine capable de donner à son utilisateur un apprentissage accéléré dans tous les domaines de la musique. Doté de quelques connaissances de base en mécanique et en électronique, secondé par un ancien camarade d’école devenu bio-chimiste, notre homme parvint à un résultat concluant près de quinze ans après ses premières recherches, dix ans après ses premiers essais. Nous étions le quinze mars deux mille onze.

La machine qu’il exposa dix jours plus tard au concours ZZZ de Paris n’avait pourtant pas l’aspect de quelque succès commercial. L’objet ne brillait pas, aucun bouton n’ornait sa surface mat. Pour tout dire, après les premières présentations, personne ne souhaita essayer l’appareil. Le commerçant-inventeur se mit donc en tête de servir lui-même de cobaye.

Cinq jours après, il était capable d’exécuter sans la plus petite fausse note l’intégralité du solo que Don Pullen improvisa au festival de Montreux le douze juillet mille neuf cent soixante dix-sept. A vrai dire, il surpassait même techniquement le génial pianiste afro-américain.

Georges acheta son kit Rapid’Artist’ le huit janvier deux mille quarante cinq. Rapidement, il dépassa le niveau de piano qu’il était parvenu à atteindre à la sueur de son front. Il se mit alors en tête de jouer les quelques milliers de « plans » qu’il n’avait jamais pu ni souhaiter exécuter, les quelques milliers de « plans » que le milieu très fermé du jazz – devenu, avec l’apparition de Rapid’Artist’, soudainement très ouvert – exigeait qu’il maîtrisât.

Georges n’avait jamais aimé imiter. Il s’acharna donc assez vite à jouer différemment, tout en conservant sa vélocité rapidement acquise. Le résultat fut désastreux. Catastrophique. C’est que Rapid’Artist’ n’avait pas été prévu pour les créateurs.

Désormais, la plupart des hommes exerçaient un métier sérieux le jour cependant qu’en grande pompe, ils organisaient des rencontres artistiques le soir entre collègues. Il faut cependant remarquer que ce ne fut pas le cas de tout le monde. Certains préférèrent poursuivre la lecture de l’Equipe Magazine. Et ne s’en portèrent pas plus mal.

Lorsque Georges se donna la mort le quinze janvier deux mille quarante-six, un peu plus d’un an après l’acquisition de son kit Rapid’Artist’, l’inventeur de la machine d’apprentissage artistique fut sacré champion des révolutionnaires.

L-F Ostrup
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