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glou glou

A quoi sert un site perso ?
11/10/2001

Mais encore beaucoup plein de choses. A mon grand étonnement, ce qui n'était au début, à l'été 99, qu'un lieu d'entraînement à l'écriture-défouloir, est devenu avec le temps un problème psychique à lui tout seul, et il serait temps que je rencontre un psychiatre, pour dédoublement de la personnalité.

Car il y a au moins deux raisons pour faire un site personnel, et, au-delà des raisons, de multiples conséquences que je vous propose d'examiner.

La première raison invoquée dans ma démarche, c'était une sorte de stockage. Stocker des idées quelque part, et en stocker la forme à un moment donné. En 99, le web francophone était balbutiant, et stocker de la prose pouvait, au pire, ne pas coûter grand-chose, au mieux, avoir quelques échos dans le grand hasard du net. Le stockage a été favorisé par l'augmentation exponentielle des capacités du même nom, et je me demande encore pourquoi le net n'a pas "vraiment" donné naissance à un mouvement plus complet de découverte de "nouveaux talents" comme ils disent, dans la photo, l'écriture, la vidéo. Peut-être que, finalement, le réseau virtuel est beaucoup moins puissant que le réseau de relations "réelles", peut-être que. C'est sans doute un sujet à creuser, tant il participait lui aussi à l'utopie du web. Rien ne sort vraiment de là, si ce n'est des rumeurs, et, parfois, des anecdotes de réussites sociales pour auto-stoppeurs dont on fit la pub dans "Le Monde". Mais au-delà, rien.

La seconde raison est liée aux "bonnes surprises". Ces "bonnes surprises" sont incompréhensibles des pseudos-spécialistes du web, de Val à Wolton en passant par je ne sais plus qui. Car c'est par la pratique obligatoire de la chose qu'on les découvre : il y a du monde là-dessous. Beaucoup plus de monde que dans ma rue, où je ne connais de toutes façons personne. Ou presque. Il y a du monde, et ce monde est, globalement, proche. Chose incroyable pour les non-pratiquants (me voilà curé du web), ce monde qui cause et répond aux textes et aux petites vanités, remarques, souvenirs, idées ou théories fumeuses, il existe vraiment, et fait des remarques, des théories, analyse, bref, est drôlement plus "vivant" que la plupart de ceux qui se contentent de lire le journal télévisé le soir. Cet aspect "vulgaire" rebute sans doute les chroniqueurs sur du vrai papier, et pourtant....
Cette seconde raison permet de continuer un site. Elle encourage.

Les conséquences sont moins claires. A la surprise des premiers contacts virtuels se substitue celle des contacts "réels". On se rencontre, on se tutoie, on a les mêmes souvenirs, un peu les mêmes goûts, c'est tout juste si l'on est pas allé à l'école ensemble. Normal. Le thème du site ayant rallié ceux qui s'en sentent proches, forcément, on se ressemble. Le web n'est donc pas du tout ce qu'en décrivent les imbéciles de la presse, c'est une machine chaude. Une machine à relations humaines.

Etonnish, nein ?

Voilà donc le fameux nouveau lien social numérique, plus ou moins ténu, encore un peu fragile.

Le pire dans l'histoire, c'est l'article de presse. L'article de presse rend un peu dingue. Car la publication sur le web
trouve sa légitimité dans la reconnaissance du monde réel, de la presse "papier". "Site de la semaine" dans "moteurderecherche.fr", c'est bien. Mais ça passe au bout de trois jours. Un article sur du papier, ça légitime auprès des copains qui se moquent du web comme de l'an 40. Grande illusion certes, mais illusion fondatrice de la légitimité.
Car l'article "papier" fait sortir du lot le site perso, comme si ce site n'était pas uniquement inutile. L'écho du monde réel donne en plus une "lisibilité" absolue, en dehors de l'auto-légitimation par les pairs, ceux qui, eux aussi, ont un site perso et vous font un lien sympa. La vue du dehors, via un autre média, donne une consistance étrange à la chose. J'avoue exister depuis qu'on parle de moi, enfin, de mon avatar, de mon alias, de mon alter-ego. "T'as un site, ouais, et alors ?" me disait-on. Et alors, on en a causé sérieusement dans un journal sérieux. "Oh putain, c'est dingue, c'est génial ! Ça se fête ! Paye ton coup !" qu'ils m'ont dit. Sauf que c'est plus vraiment moi, c'est un autre.

C'est là que je voulais en venir. Ce n'est peut-être pas universel, mais il y a danger. Car depuis que - via mon site perso - mon avatar existe, mon moi tout court est complètement illusoire. Le net, en grande partie, représente le lieu d'une existence plus riche (en contacts, en réflexions, en engueulades), que le lieu de ma vie quotidienne au bureau. La séparation des deux "moi" est de plus en plus forte, et là, il n'y a pas de réelle "satisfaction" pour parler comme un psy.

C'est ainsi qu'on se rabat sur les chiffres, et voilà la raison cachée de ce texte. En fin de semaine, le compteur va afficher 100 000. Comme pour une bagnole. Faut-il pour autant faire une révision ?

Bôf. Une vidange peut-être ?

100 000 visiteurs, ça ne veut pas dire grand-chose sur internet. Dérisoire pour TF1.fr, ça fait une matinée pour un site porno, et 2 ans pour mon site perso. Ça fait une ville moyenne. Ça fait les trois quarts par hasard qui reviendront plus, mais ça fait quand même un monde incalculable d'habitués, de causants, de silencieux. C'est ainsi qu'on se raccroche aux chiffres, même pas matheux, pour trouver, in fine, une légitimité au site perso : y'a du monde qui passe, du monde qui vient voir, c'est déjà ça.

Mais alors, que se passe-t'il après ?
L'attachement sentimental à la chose est proche de la dérive d'une dépression. J'abandonne, j'abandonne pas ? Certains sites ont déjà disparu, et c'est bien dommage. D'autres sont devenus des foutoirs terribles. Et puis le silence s'impose à pas mal de chroniqueurs un peu ténus. L'avenir nous dira qui tient la longueur.

Un dernier point, crucial sans doute, est lié à la visibilité. Car nombreux sont les nouveaux arrivants qui veulent causer dans le poste. Le problème, à vouloir causer dans le poste, c'est que le site individuel quelque part, est peu visible, à moins de recourir à quelque artifice porno. Pour être vu actuellement, il faut jouer l'agrégation du portail, du forum et de la mailing-list. Les blaireaux appellent cela du "marketing viral". C'est surtout le seul moyen de retrouver des voisins de palier virtuel. En quelques années, les moteurs de recherche ont perdu de leur intérêt, et la mainmise de Google sur le réseau (un peu plus de 30% des recherches) n'est pas sans poser problème. Ce moteur classe les résultats par pertinence. Si vous cherchez le film de Michel Blanc qui porte le nom de mon site, et que vous êtes en une journée des milliers à chercher le nom de l'interprète principal (Blanc lui-même), ma première place va s'envoler au hit-parade du classement.

Et alors, fini la belle vie, les amitiés virtuelles, les leçons de savoir-vivre, les questionnements sur l'art et le net, les forums et toutes ces choses....

Mais 100 000, quand même. PS : ce texte est aussi publié dans Uzine, avec un forum de discussion pour ceux qui voudraient causer : > http://www.uzine.net/article1163.html

Grosse Fatigue
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